L’HOMME A ÉTÉ APPAREMMENT CRÉÉ DANS UN GRAND DESSEIN

  Je suis quelqu’un qui est déjà au bout du rouleau. Ma vie couvre quasiment tout le vingtième siècle. Ayant vécu sous d’autres cieux, côtoyé toute sorte de gens, assisté comme témoin direct à bien des évènements, j’ai eu autant de sujets de réflexion sur les hommes, sur leur destin, leur passé et leur avenir. Nous autres hommes, vivons bien dans le présent, et les projets que nous pouvons former, surtout en cette fin de siècle, sont peu ou prou des plans tirés sur la comète. L’écrasante majorité des hommes de par le monde, et mes concitoyens peut-être encore plus que les autres, sont surtout préoccupés du problème de leur survie.

Pour ma part, comme sans doute la plupart d’entre vous, je me suis parfois creusé la tête pour comprendre pourquoi et comment l’homme a été créé ; je me suis demandé si l’émergence de la vie a été un phénomène fortuit ou, au contraire, correspondait à une finalité inconnue ; j’ai toujours désiré savoir ce que nous devenons après la mort. Autant de questions qu’on s’est posées sans qu’à ce jour personne n’ait pu donner une réponse susceptible de satisfaire le cœur et la raison.

Toutefois, je crois être en mesure d’apporter quelques éléments de réponse à ces interrogations. Non pas en tant qu’auteur de textes poétiques mais comme un observateur vigilant de la réalité. Je me rends bien compte que l’époque où nous vivons n’incite guère à la discussion sur des sujets aussi abstraits ; et pourtant, je ne voudrais pas laisser passer l’occasion de vous en parler, de les partager avec vous, mes chers auditeurs. N’éteignez donc pas votre poste récepteur, je vous prie, faites-moi la grâce de m’entendre. Mes propos pourraient peut-être intéresser quelques-uns d’entre vous et, qui sait, leur être profitables. Je vous remercie de votre attention.

Il est notoire que les êtres vivants tendent naturellement à faire durer leur existence le plus longtemps possible. Pour y arriver, ils disposent de deux procédés principalement : se nourrir et se reproduire. Parce que la progéniture est en quelque sorte la pérennisation de l’existence individuelle. Mais pour arriver à se nourrir et à se reproduire, l’individu doit affronter la concurrence des représentants de son espèce ou de ceux appartenant à d’autres espèces. Il s’agit pour lui de se procurer de quoi se nourrir, tout en évitant de servir de pâture aux autres… Il va chercher donc à être le plus puissant, c’est-à-dire plus rusé, habile, agile, plus effrayant, etc., que les autres. Toute son énergie est concentrée sur cette lutte pour la vie. Ce sont là des choses bien connues, mais je me dois de les mentionner pour relever un fait important : l’évolution des différentes espèces d’êtres vivants dénote une tendance persistante, bien que peu apparente, à la complexification. Sont ainsi créés, dans l’organisme animal, des mécanismes qui lui permettent de l’emporter dans cette concurrence impitoyable dont l’enjeu n’est rien de moins que la survie. Jusqu’à ce qu’enfin l’homme vînt.

Ce qui distingue l’être humain du reste du monde vivant, c’est en premier lieu la raison. Celle-ci est en fait la capacité d’imaginer une époque prospective plus ou moins étendue, le futur. Selon toute probabilité, la raison s’est créée grâce à cette aptitude tout humaine à associer les divers éléments du flux d’information provenant essentiellement de la réalité externe et, plus tard, de la réalité interne de l’homme, son organisme. Quant à savoir si l’aptitude en question est le fait de l’incroyable complexité du cerveau humain – les scientifiques avancent qu’il est, dans l’univers, la matière organique structurellement la plus complexe – ou, à l’inverse, si une nécessité mystérieuse a présidé à la création de cette structure, c’est une question à laquelle on ne saura jamais répondre avec certitude : c’est un peu le paradoxe de l’œuf et de la poule.
La deuxième distinction réside dans le fait qu’en devenant agriculteur et éleveur, l’homme a appris à produire lui-même sa nourriture, ce qui l’a conduit à l’établir des stations préhistoriques. Les individus formant une collectivité, comme l’individu isolé, possèdent la propriété de créer des mécanismes susceptibles de ralentir l’entropie. Rappelons que selon l’interprétation vulgaire du deuxième principe de la thermodynamique, tout système thermodynamique tend à l’état de désordre. Mais à la différence de la matière inerte, la matière vivante fabrique des mécanismes ralentissant l’entropie, c’est-à-dire l’approche de la mort. Il en va de même de la société qui élabore des mécanismes pour contrecarrer le désordre : les lois et les sanctions pénales pour ceux qui les transgressent. Quand il chassait en solitaire, l’homme primitif était libre d’assouvir ses instincts : abattre impunément son ennemi, copuler avec la femelle qui l’attire, s’attaquer à plus faible que lui pour lui ravir sa nourriture, comme font les bêtes. Mais une fois en communauté, il élabore des lois pour se protéger et, répétons-le, punit ceux qui les enfreignent. L’individu se retient de commettre des exactions de peur d’être puni. De là l’émergence de ce qu’on appelle le « subconscient ». L’homme est le seul être (excepté peut-être quelques animaux domestiques intelligents) à posséder un subconscient. L’une des tâches primordiales de l’élévation spirituelle est de soustraire l’homme à l’emprise de son subconscient, de l’empêcher de céder à ce « chant des sirènes », autrement dit, de lui apprendre à « faire sa propre psychanalyse ». Un homme rompu à cet exercice vit dans une sécurité et un calme infinis.

En troisième lieu, l’homme diffère de l’animal parce que, dès l’aube de son existence, il se sait mortel. Et comme l’instinct lui commande de faire tout pour vivre plus longtemps, éternellement, s’il le pouvait, pour se consoler de la fatalité de la mort, il a inventé les religions. Celles-ci, même les plus rudimentaires, lui promettent une vie après la mort. Par la suite, à un stade suivant du développement, certains penseurs se montrent sceptiques au sujet de la vie éternelle et lui substituent une autre forme d’immortalité qui consiste à faire en sorte de perpétuer le souvenir de soi dans la mémoire des générations futures en accomplissant de grandes œuvres afin d’inscrire son nom dans l’histoire. Voici deux exemples qui vont dans ce sens : Érostrate, l’incendiaire du magnifique temple d’Artémis à Éphèse, avait déclaré devant ses juges : « Je l’ai fait pour rester à jamais dans la mémoire des hommes ». Dans une lettre à un ami, peintre italien, qui se disait désespéré de son travail, Beethoven répondit qu’il ne devait pas arrêter de peindre et terminait ainsi : « Tu dois donc continuer à peindre, comme je continuerai à composer de la musique. Pourquoi ? Pour survivre éternellement ? Oui, certainement ».
La religion a non seulement fait miroiter à l’homme la promesse de la vie éternelle, mais elle a joué un rôle structurant dans la société : brandissant le spectre de la damnation, elle contribuait à maintenir l’ordre et à prévenir les actions coupables. De la part des croyants, évidemment. Ainsi la loi divine venait renforcer la loi des hommes. Le comportement des membres de la société était ainsi réglé par ces deux institutions. Seulement, durant les deux derniers siècles, avec le recul de la religion, n’est restée en vigueur que la loi des hommes qu’il est facile de contourner. Il en est résulté une énorme recrudescence de la criminalité à l’échelle mondiale. Chez nous également, ces derniers temps, après qu’on a cessé de croire au paradis communiste. Mais on en parlera tout à l’heure.

On sait que la nature ne connaît pas les notions de bien et de mal. C’est la société humaine qui est à leur origine, et qui, à partir des lois divines et des lois humaines, détermine ce qui est bon ou mauvais, alors que l’instinct de survie de la société préside à leur instauration. C’est dire que l’instinct, qui impose à l’animal un comportement égoïste à l’endroit de ses semblables, agit ici en sens inverse en obligeant l’individu à renoncer en partie à son égoïsme et à sa liberté en faveur de la société. Il me semble que c’est un point très important. Parce que – réfléchissons ensemble – qui qualifions-nous de « bon », « dévoué », « sauveur », etc. ? Ce sont les hommes qui ont sacrifié une grande partie de leur égoïsme en servant les autres. Ils deviennent un exemple à suivre, du moins pour certains. Rappelons le sacrifice de Jésus-Christ pour le salut de l’humanité et celui des milliers de ses disciples qui acceptaient avec joie de mourir en son nom. C’est peut-être justement grâce à cet esprit de sacrifice inouï jusqu’alors que le christianisme doit sa propagation rapide. À la vue de ces gens qui se laissaient dévorer par les fauves dans l’arène en exultant et en chantant, les spectateurs des stades romains devaient penser que c’était sans doute parce que leur foi était sublime et qu’une grande récompense (eh oui, on ne peut ne pas penser à la récompense !) les attendait dans l’au-delà. Et ils se convertissaient à la nouvelle religion.

Rappelons également, dans un passé plus ou moins récent, les milliers de personnes immolées de leur plein gré au service d’une grande cause. Il y a, en effet, quelque chose d’inexplicable du point de vue de l’instinct de vie dans cet empressement à donner sa vie au nom d’une idée dont on croit qu’elle améliorera le sort de l’humanité. Quant au constat que les révolutions des derniers siècles faites au nom d’un rêve auquel des esprits idéalistes ont sacrifié leur vie, toutes, depuis celle de Cromwell à celle de Lénine, ont dégénéré en dictatures. Mais c’est, si je peux dire, une autre paire de manches. Néanmoins, cela n’enlève rien à la grandeur de l’exploit des victimes qui ont immolé leur vie à l’idéal de fraternité, d’égalité et de liberté. Par parenthèse, la dictature (et la restauration du régime qui l’exerçait) après une révolution serait un processus régulier: toute idée servie par l’appareil idéologique d’État, finit par se conformer aux exigences du pouvoir séculier et de l’impératif des grandes ambitions des dirigeants.

Les hommes ont toujours rêvé du paradis. Comment l’imaginaient-ils ? Dans l’Antiquité, c’était un paradis sur terre. Dans son poème Les Travaux et les Jours, le poète grec Hésiode en fait la description suivante :

« (…) les mortels vivaient comme les dieux, ils étaient libres d’inquiétudes, de travaux et de souffrances ; la cruelle vieillesse ne les affligeait point ; leurs pieds et leurs mains conservaient sans cesse la même vigueur, et loin de tous les maux, ils se réjouissaient au milieu des festins, riches en fruits délicieux et chers aux bienheureux Immortels. Ils mouraient comme enchaînés par un doux sommeil. Tous les biens naissaient autour d’eux. La terre fertile produisait d’elle-même d’abondants trésors ; libres et paisibles, ils partageaient leurs richesses avec une foule de vertueux amis. » (Traduit par M. A. Bignan).

Le paradis imaginé par les Israélites était assez similaire, mais n’était habité que par les deux premières créatures humaines, alors que celui des anciens Grecs était peuplé par tous les hommes. À noter aussi que c’était un paradis sur terre.

Ces récits concernant le paradis connaissent une suite assez lamentable – les bienheureux, pour quelque raison que ce soit, en ont été chassés et voués à une dégradation désespérante. D’abord, parce que ayant perdu le paradis, ils étaient obligés d’assurer eux-mêmes leur subsistance au prix d’un labeur harassant, et cela incite à la jalousie, à la rancœur, au crime et à la guerre. « Toutes les guerres sont menées pour l’acquisitions de biens », dit Platon.
Plus tardivement, les religions relièrent les rêves du paradis à la vie d’outre-tombe. Le paradis dans l’autre monde, mais pas pour tous, uniquement pour ceux qui l’auraient mérité. Le christianisme, comme le zoroastrisme et l’Islam, sont unanimes là-dessus. Dans son poème Le Paradis reconquis ou La Tentation de Jésus dans le désert, écrit après Le Paradis perdu, Milton cherche à redonner l’espoir d’une époque où les hommes vivraient de nouveau dans un Paradis sur terre.

Mais il aura fallu trois siècles de pensée rationaliste pour voir apparaître une théorie qui prévoyait scientifiquement la possibilité de réaliser sur la terre un paradis rationnel: la théorie marxiste. Cette théorie cohérente avait un défaut de taille : elle ne tenait pas compte du facteur humain, incontournable pour concrétiser le projet. Elle négligeait l’instinct de vie avec sa suite de manifestations négatives. Et si, dans le temps, des millions d’êtres avaient cru que le paradis sur terre était possible, c’était parce qu’ils étaient poussés par l’éternelle soif de vivre à l’abri du besoin, en paix, dans la liberté, sans s’épuiser à lutter pour leur survie, sans se soucier du lendemain. Évidemment, comme dans le cas des révolutions précédentes, l’expérience finit en dictature qui instaura un régime qui n’avait rien d’un paradis terrestre.

Est-ce à dire qu’il faille renoncer à ce rêve séculaire ?

Entendons-nous bien. Une société dont les membres vivraient sans se soucier du lendemain, libres de choisir sans violence et sans crainte leur vie ne représente pas encore le but final. Elle n’est que la condition permettant que se poursuive l’évolution de l’homme qui le rende maître de ses forces intérieures au nom de son épanouissement spirituel et son perfectionnement. Afin de bâtir une société différente, plus parfaite, où les notions de bien et de mal auraient un sens et des dimensions tout autres. Société où l’instinct de survie sous sa forme archaïque céderait le pas à la conscience individuelle responsable de son propre grandissement spirituel et de l’amélioration de la société ; pour que soit réalisé le grand dessein que l’on pourrait formuler ainsi : la meilleure manifestation de l’instinct grandi par l’esprit est la conscience de l’homme qui fait à autrui l’oblation de ses œuvres et de sa personne. Pour accéder à une survie d’un ordre supérieur.

Je sais bien que vous m’écouterez avec un sourire condescendant (voire ironique) en vous disant : voilà un vieillard qui vient nous conter ses utopies au sujet d’un prétendu paradis, à nous, qui ne sommes pas sûrs d’avoir de quoi manger, qui ne savons pas si nous serons au chômage demain ou si nous trouverons un travail pour nourrir nos enfants. Nous, qui sommes obligés d’être spoliateurs pour ne pas être spoliés, obligés de duper pour ne pas êtres dupés, obligés de donner des coups pour ne pas en prendre. Et vous vous apprêtez probablement à fermer la radio. Attendez, je vous prie. Ayez la bonté de patienter encore cinq ou six minutes. Laissez-moi, je vous prie, le temps de terminer mon propos.

Maintenant, je vais m’adresser à ceux d’entre vous qui disposent de ressources matérielles plutôt considérables. Ils ne sont pas si peu nombreux chez nous. C’est par eux que le renouveau pourrait s’amorcer. De quelle manière ? C’est très simple, à première vue : en renonçant aux superfluités qu’ils voudraient acquérir. Qu’est-ce que cela veut dire ? Disons, par exemple, que je possède une voiture, mais il se trouve que la femme de mon collègue dispose de sa propre voiture. Je me sens tenu d’en acheter une pour ma femme, pour ne pas être en reste. Ou bien : mon enfant doit avoir la télévision dans sa chambre parce qu’on s’entend difficilement sur les émissions à suivre. Et pourquoi pas la télé dans la chambre à coucher ? Est-ce bien nécessaire ? Pourquoi sacrifier au goût du jour et nous entourer d’objets inutiles ? Ne serait-il pas mieux de renoncer de bon cœur aux choses superflues, comme d’autres l’ont fait parfois, et investir l’argent économisé dans notre entreprise ? Ou, peut-être, constituer un fonds d’État et y placer une part de ce qu’on a renoncé à dépenser. Peut-on seulement imaginer ce que cela donnerait ? Supposons qu’il y ait, chez nous, deux millions de personnes qui, en évitant certaines dépenses inutiles, économiseraient la modique somme de 50 leva (environ 25 euros, NDT) par mois. Cela ferait cent millions par mois, un milliard deux cents millions par an ! Au bas mot. Pouvez-vous imaginer ce que représenterait ce capital géré de manière habile et honnête ? En plus de subvenir aux besoins de nourriture des vrais nécessiteux âgés, cet argent pourrait servir à créer des petites entreprises et occuper des centaines de jeunes chômeurs. Et de là, à augmenter les bénéfices d’une production accrue, à accumuler les intérêts des sommes économisées et à élargir les possibilités du fonds. Essayons de faire cela, pour commencer. Je peux vous assurer que la joie de cette petite expérience de faire passer les besoins des autres avant les siens vous apportera, avec le temps, une sensation de calme, de satisfaction et de liberté. Croyez-moi, cela vaut le coup d’essayer.

Il n’est pas question de faire la charité ni de parrainer qui que ce soit, ce sont des choses bien différentes : il s’agit là de l’institution d’une structure durable disposant de moyens prélevés volontairement par le libre accord de tous. Le lancement d’un tel mouvement aurait pour corollaire la sublimation de l’instinct de survie dont la devise égoïste « Moi (et les miens) d’abord » serait remplacée par l’élan noble et généreux de « Moi avec les autres ». Afin de freiner l’entropie de la société et notre propre entropie. Sinon, il nous faudra nous résigner à l’idée de vivre dans une société composée de 2 ou 3% de multimillionnaires, de 10% de leurs auxiliaires et de 85% de gens réduits à vivoter dans la demi-misère. N’est-ce pas évident qu’une telle société est vouée à périr ?

Ce n’est un secret pour personne que depuis plusieurs décennies, dans les pays capitalistes avancés on est préoccupé par la perspective d’une catastrophe suscitée par une contradiction essentielle : les avancées scientifiques et techniques créent des machines de plus en plus sophistiquées qui remplacent l’homme au travail et, par conséquent, amènent le chômage. Le capitaliste n’est pas enclin à abandonner une part plus importante de ses bénéfices pour contribuer au financement d’une politique sociale plus vaste. Le célèbre club de Rome se préoccupe également de trouver une issue à cette impasse. L’idée n’est pas nouvelle. Dans un passé lointain, il y avait des gens conscients des méfaits de l’égoïsme et de la cupidité sur la société et sur l’individu et a contrario de l’immense sentiment de soulagement que l’on éprouvait de se délivrer de la soif de posséder des choses inutiles. Il suffit de se rappeler Diogène. Ou Cratès de Thèbes, ou encore Léonidas de Tarente. À notre époque, aussi, il y des courants d’opinion contre la société de consommation. Je me rappelle qu’il y une vingtaine d’années, le grand violoniste Yehudi Menuhin est allé vivre dans une petite ville, remplaçant sa voiture par une bicyclette. Et il y a peut-être des exemples moins connus que j’ignore. Pourtant les évènements dont nous sommes témoins un peu partout dans le monde, montrent que ces exemples sont très peu suivis par le citoyen lambda des pays riches.

Quelles seront les démarches entreprises dans ces pays? Je l’ignore. Ce que je sais, c’est que l’alternative – puisqu’il est exclu d’arrêter le progrès de la science – est la suivante : ou bien ceux qui ont la haute main sur l’économie auraient à renoncer à leurs bénéfices, ou bien ils auraient à affronter la révolte et la révolution. Celles-ci ramèneraient, comme cela s’est déjà vu, des dictatures sanglantes où des classes et des peuples entiers seraient dressés contre les nantis, c’est-à-dire, sur le plan international, conduiraient aux guerres. Et quand on connaît les armes dont disposent plusieurs pays, ces guerres mèneraient tout droit à la catastrophe planétaire. Il n’est pas permis de s’en remettre à la puissance « d’en haut » pour intervenir. L’homme a été apparemment créé dans un grand dessein, mais c’est à lui qu’il appartient de choisir. Et c’est pour cela qu’il est doué de raison et d’intuition.

Et si, chez nous, nous nous risquions à faire un pas, un pas minuscule, vers la solution de cette contradiction fatidique ? En sacrifiant un peu de notre égoïsme pour le bien de la société. Je me rends bien compte que cela demanderait une longue évolution intérieure. Mais une fois conscients que l’instinct de subsister, de durer qui, quand il s’exprime sous sa forme simpliste, nous pousse à la cupidité, à la jalousie, à la haine, peut, si on l’attèle à notre survie collective, devenir une ceinture de sauvetage pour nous-mêmes. Pourquoi ne pas essayer de donner l’exemple, comme nous l’avons fait maintes fois pendant notre histoire séculaire.

Ici, je n’ai fait qu’exposer une idée. C’est tout ce que je suis en état de faire. Mais les hommes jeunes, intelligents et talentueux – qui chez nous sont loin d’être une infime minorité – pourraient développer dans la théorie et la pratique l’idée que je viens d’exposer et lui donner une suite. Notre situation matérielle et morale déplorable pourrait jouer le rôle d’un stimulant pour l’animation d’un courant de pensée similaire.

Je vous remercie de votre attention.