REPÈRES BIOGRAPHIQUES
L’Enfance
Stéphane Guetchev est né le 29 janvier 1911, à Ruse (Roussé), dans une famille d’intellectuels progressistes. Plusieurs membres de sa famille ont été liés à l’histoire de l’intelligentsia bulgare des XIXe et XXe siècles.
Albert Guetchev, Nonka Guetcheva et le pasteur Stéphane Guetchov, Timotey Guetchev, Nevyanka Guetcheva, Georgi Guetchev et Slavka Guetcheva
Stéphane Guetchev est né dans la famille du critique littéraire et historien de la littérature Albert Guetchev (1884 -1916) et Rada Guetcheva, professeur de français.
Je ne devais avoir plus de cinq ans lorsque mon père me faisait entendre des vers de Slaveykov et me demandait ensuite de les réciter. Depuis, ils sont gravés dans ma mémoire. N’était sa mort prématurée, il était promis à une carrière universitaire. Mais le destin n’a pas voulu… Pour ce qui est de ses goûts de critique littéraire, il était attaché à notre beau réalisme robuste, alors que, pour ma part, je penche plutôt pour le beau et vivace réalisme moderne.
Extraits d’entretiens de Stéphane Guetchev accordés au journal ABV, № 30, 1991 et à la revue littéraire Literatourna misal № 4, 1991.
Au milieu du XVIIIe siècle, mon arrière-grand-père paternel était colporteur de livres : il allait faire son commerce dans les foires. Mon grand-père Stéphane Guetchov avait publié aux alentours de la Libération de la Bulgarie (les années 80 du XIXe siècle, NDT) des « Contes édifiants pour enfants » en deux volumes. Son fils cadet Timothée, décédé à l’âge de 19 ans, avait un joli talent poétique et avait laissé une plaquette de vers. Mon père Albert Guetchev, qui était critique littéraire, est, malheureusement, mort assez jeune.
… Du côté maternel, ma grand-tante, la mère du professeur Assen Zlatarov, avait laissé des mémoires d’un très haut intérêt qui avaient été publiés. Quant au professeur Assen Zlatarov, inutile d’en faire la présentation, c’était une célébrité nationale ! Son fils Svetlosar Zlatarov est également un homme de plume. Le professeur Lyubomir Tenev est une autre personnalité célèbre de cette famille. Ma tante Diane, épouse de Nikolay Raïnov (poète, écrivain, artiste et homme de science, NDT), s’était essayé à l’écriture, pour ne rien dire de leur fils Bogomil… »
Extrait d’un entretien de Stéphane Guetchev, accordé au journal ABV, № 30, du 24 septembre 1991.
Albert et Rada Guetchevi, 1909
Stéphane Guetchev, 1917
Les années 1917-1921
Stéphane, Erma et Rada Guetchevi, 1919
Rada Guetcheva enseigne la langue française au lycée de Ruse. Le petit Stéphane est parmi les meilleurs élèves mais, en dépit des efforts de sa mère, le français l’attire peu. C’est pourtant la langue qu’il adoptera par la suite et qu’il parlera couramment.
Après la mort de son époux, la mère de Stéphane Guetchev quitte Ruse pour s’installer, en 1921, à Plovdiv, avec ses deux enfants, le petit Stéphane et sa sœur Erma, dans la maison de la grand-mère Cathie. Elle y est suivie de peu par sa sœur Diane et les siens, le mari Nikolay Raïnov et le petit Bogomil. L’oncle (et parrain) de Stéphane Guetchev, Nikolay Raïnov, éminent intellectuel bulgare, apportera son appui constant au petit Stéphane que la mort a privé trop tôt de son père.
L’adolescence
À Plovdiv
L’année 1925 voit s’ouvrir pour Stéphane une nouvelle fenêtre au monde – il commence à écrire des vers.
Je me suis mis à écrire des vers à l’âge de 14 ans, à Ruse. À l’âge de 15 ans, j’avais déjà publié un certain nombre de poésies dans le magazine scolaire Rodna Retch. À propos de ces publications, le directeur m’avait écrit : « Vos vers sont beaux, et surtout authentiques. »
Stéphane, alors âgé de 16 ans, habite à Plovdiv avec son oncle, le grand écrivain bulgare Nikolay Raïnov.
Je me suis risqué à montrer mes poésies à mon oncle Nikolay. Je lui en ai laissé quelques-unes et je suis sorti assez troublé. Le lendemain, il me fit asseoir près de lui et me dit : « Mon petit Stéphane, tu seras un bon poète. » Inutile de dire que j’étais au septième ciel.
À l’époque, c’était Nikolay Liliev qui était le coryphée parmi les poètes bulgares.
Je lui ai soumis plusieurs poésies et passé quelque temps à me morfondre dans l’attente de son verdict. « J’ai lu attentivement vos vers et je dirais : Écrivez ! Alors même que vous ne seriez pas un grand poète, vous allez comprendre la grandeur de la poésie… Pour conclure, je vous conseille de continuer d’écrire.
Sur le moment, j’ai ressenti cette réponse comme un NON. Rentré chez moi, l’ai brûlé tous mes cahiers de vers. Quelques années plus tard, lors d’une rencontre fortuite, il est apparu que Nikolay Liliev se rappelait très bien de ce que j’avais écrit et s’est étonné que j’aie renoncé à écrire.
Tiré du récit de Stéphane Guetchev dans un entretien accordé à la revue littéraire Septemvri, № 4, 1994.
Erma et Stéphane Guetchevi
À Paris, en 1926
Stéphane, alors âgé de 15 ans, vit pendant deux ans à Paris où sa mère est envoyée pour faire un stage de spécialisation en français. S’y trouvaient également, au même moment, Dora Gabé, Assen Zlatarov, Nikolay et Bogomil Raïnov, le grand Georges Papazoff ainsi que d’autres intellectuels bulgares. Stéphane fréquente le lycée Louis-Le-Grand où il perfectionne son français.
Stéphane Guetchev, Paris, 1926
1929, Nikolay Raïnov et l’École Orphée
Portrait de N.Raïnov, un cadeau pour Stéphane,
1932, Paris.
L’académicien Nikolay Raïnov, professeur en histoire de l’art, écrivain célèbre et éminent intellectuel, était une personnalité influente de la première moitié du XXe siècle. Encore enfant, dans le sillage de son oncle, Stéphane peut connaître la presque totalité des grands intellectuels bulgares de l’époque : Guéo Milev, le peintre Mavrov, le surréaliste Georges Papazoff, la poétesse Dora Gabé et, à Paris, beaucoup d’étrangers comme le fondateur et chef de file du dadaïsme Tristan Tzara.
L’oncle introduit son neveu de dix-huit ans dans la loge Orphée, fondée et dirigée par Raïnov, et composée des plus grands intellectuels de l’époque.
En 1933, pour diverses raisons dont mes études et examens universitaires mais aussi et surtout en raison de ma manière de penser cartésienne, j’ai commencé à prendre mes distances avec la loge Orphée. Au bout de quelques années, j’ai quitté la loge et mon oncle Nikolay.
Extrait d’un entretien de Stéphane Guetchev, accordé au journal ABV, № 30, du 24 septembre 1991.
Les années d’études
1929-1934, études slaves à la Faculté des Lettres de l’Université de Sofia
Lorsque à l’automne de 1929, candidat slavisant, je suis entré à l’Université de Sofia, les professeurs titulaires des différentes chaires étaient des sommités tels que L. Miletič, S. Romanski, M. Arnaudov, A. Theodorov-Balan, St. Mladenov. Cette équipe de linguistes de talent avait jeté les bases solides de la bulgaristique…
Tiré du récit de Stéphane Guetchev dans un entretien accordé au journal ABV, № 9, 1992.
En 1934, j’ai terminé mes études universitaires mais je mentionnerai que dès le début, j’ai été attiré par l’ancienne littérature bulgare. Le titulaire de cette chaire professorale, Yordan Ivanov, me recommanda, si je voulais obtenir des résultats tant soit peu significatifs dans ce domaine, de me familiariser avec le grec ancien et avec le grec moderne.
Tiré du livre de Stéphane Guetchev Mes amis grecs, p. 33.
Guetchev avec le professeur Yordan Ivanov, 1934
À Athènes, en 1935
Guetchev dans l’Ambassade de Bulgarie à Athènes, 1937
Guetchev s’installe à Athènes afin d’étudier le grec ancien et le grec moderne. Ses fortes affinités avec la communauté spirituelle sur place lui permettent de s’intégrer facilement dans les milieux académiques grecs. En peu de temps, il arrive à maîtriser la langue grecque.
À l’université d’Athènes, j’ai suivi les cours de littérature byzantine du professeur Véis, une sommité en la matière, comme on disait. Bientôt, j’ai pris contact avec lui et il témoigna de l’intérêt pour le jeune Bulgare que j’étais. Peu de temps après, il me convoqua pour me proposer d’organiser un cours privé de vieux bulgare à l’intention de ses étudiants. « Parce que, m’expliqua-t-il, les raisons pour lesquelles vous étudiez le grec médiéval, valent aussi pour nos byzantinistes qui, eux, devraient connaître le vieux bulgare afin de pouvoir consulter les vieux documents bulgares.
Tiré du livre de Stéphane Guetchev Mes amis grecs, pp. 62-64.
En 1938, en Grèce, préparation d’une thèse de doctorat
En 1938, en Grèce, Stéphane Guetchev prépare une thèse de doctorat qui s’intitule « Physiologue » où il se propose d’étudier un texte en vieux bulgare traduit en grec. Ses recherches bibliographiques le mènent aux monastères du Mont Athos.
Gechev au Mont Athos, 1938
La carrière diplomatique
En 1935, employé préposé aux écritures et traducteur à l’Ambassade de Bulgarie à Athènes
Heureusement, l’argent que sa mère lui avait procuré vint à manquer, pourrait-on dire par boutade. Ce qui fournit l’occasion à Dimiter Chichmanov, ambassadeur de Bulgarie à Athènes, de placer Stéphane Guetchev au poste d’employé préposé aux écritures et traducteur : « Voyez-vous, Guetchev, il y a un poste vacant de préposé aux écritures en langues étrangères. La rétribution est plutôt modique mais si vous voulez prolonger votre séjour en Grèce et terminer ce pour quoi vous êtes venu, vous pourriez l’occuper ».
Et c’est ce qui se passa. Seulement, le séjour de sept mois initialement prévu en Grèce dura sept ans.
Tiré du livre de Stéphane Guetchev Mes amis grecs.
En 1942-1946, Guetchev est attaché de presse à l’Ambassade de Bulgarie à Bratislava
Après le 9 septembre 1944 et jusqu’au mois de mai 1945, sur la demande des autorités slovaques, Stéphane Guetchev quitte la capitale pour la ville de Pištjani ; ce qui lui vaut ce déplacement, c’est d’être favorable au nouveau gouvernement à Sofia. La guerre terminée, il rentre à Bratislava en tant que représentant du ministère des Affaires étrangères de Bulgarie.
À la fin de 1942, j’ai été affecté à notre Ambassade à Bratislava. Les Allemands avaient décidé d’en faire la vitrine de l’Europe future. Les cognacs, les fromages français… rien ne manquait. Je n’avais jamais vu une telle opulence. L’Allemagne était affamée et ici, on faisait venir des étrangers pour leur montrer ce que serait l’Europe après la victoire allemande.
Après le 9 septembre 1944, A. Tsankov (ancien Premier ministre, NDT) forma, à Vienne, un gouvernement bulgare en exil. Les Allemands m’ont convoqué dans leur Ambassade. Le conseiller me demanda carrément : « Herr Guetchev, un autre gouvernement est en place ici. De quel côté êtes-vous ? »
J’ai répondu que le gouvernement de Sofia représentait une coalition démocratique et que, en tant que Bulgare, je ne saurais être que du côté de mon pays… Dix jours après, j’ai été invité à quitter Bratislava pour la petite ville de Pištjani – une assignation à résidence, en quelque sorte. Une fois par semaine, je devais pointer à la Gestapo…
En mai 1945, je suis rentré à Bratislava. La guerre n’était pas encore tout à fait finie. J’ai été mandaté, par ordre de notre ministère des Affaires étrangères, envoyé en Tchécoslovaquie, parce qu’il n’y avait pas encore d’ambassadeur nommé à Prague. C’est ainsi que j’ai dû, pendant sept ou huit mois, faire la navette entre Prague et Bratislava.
Tiré des récits de Stéphane Guetchev publiés dans la revue littéraire Literatourna misal, № 4, 1991 et dans l’hebdomadaire Literatouren forum, № 31.
Guetchev (à droite) 1943 avec un conseiller allemand
Guetchev (à gauche) 1944 avec un conseiller allemand
Guetchev (à gauche), 1946
1947-1949, Conseiller à l’Ambassade de Bulgarie à Varsovie
Guetchev (à droite) 1948
Je suis resté dans la jolie ville de Bratislava jusqu’à la fin de 1946. Sur ces entrefaites, il y eut la visite de notre ambassadeur à Varsovie : « M. Guetchev, j’ai besoin de personnel qualifié, ne voudriez-vous pas venir chez moi, à Varsovie ? » J’ai pensé que c’était un grand défi pour moi, et j’ai accepté. Ainsi, j’ai débarqué, au début de 1947, dans la capitale de Pologne affreusement endommagée par la guerre. On voyait partout de pauvres gens miséreux et faméliques qui tentaient de rebâtir leur vie. J’y suis resté jusqu’au milieu de 1949, époque à laquelle j’ai été rappelé à Sofia.
Tiré des récits de Stéphane Guetchev.
La suite du parcours, 1949-1989
Stéphane Guetchev, 1950
En 1949, Guetchev refuse d’adhérer au parti communiste et se voit limogé du ministère des Affaires étrangères.
En 1949, Guetchev est limogé du ministère des Affaires étrangères pour avoir refusé d’adhérer au parti communiste. À ceux de ses collègues qui insistent pour connaître les motifs de ce refus, il se contente d’expliquer : « Je ne pourrai être membre du parti communiste parce que je crois en Dieu. »
Il aurait pu avoir une brillante carrière diplomatique, publier sans problème ses œuvres poétiques en flattant le fameux réalisme socialiste, en exécutant des ouvrages de commande satisfaisant aux exigences idéologiques des commanditaires du parti communiste. Or il appartient à un monde bien différent : un monde de droiture où aucun motif d’opportunité ne saurait compter, où l’artiste n’admet pas de s’abaisser à des compromissions. Il défendait avec probité, courage et sincérité ce que lui dictaient la logique et son réflexe de citoyen du monde. Cette attitude lui valut vingt-trois longues années d’ostracisme.
Stéphane Guetchev avait sa relation personnelle avec Dieu, la « Providence suprême » qui présiderait aux manifestations de la raison et du corps. Il ne se départait jamais de la Bible, et cela jusqu’à la fin de ses jours. Chaque soirée, il lisait un passage de ce livre qu’il considérait comme un livre d’histoire, un livre saint donnant accès à d’autres mondes.
En 1959, Krastina (Titi, pour les intimes) entre dans la vie de Stéphane Guetchev.
Traductrice, éditrice et bibliographe, Krastina était son ange, la femme qui à partagé les bons et les mauvais moments d’une vie commune de presque 50 ans…
Jusqu’à la fin !
« Ce n’est pas une affaire de tout repos que de partager la vie au quotidien d’un homme qui considère le monde à travers le prisme de la quatrième dimension, de vivre avec un citoyen du monde qui a fait fi des plaisirs matériels, mais c’est en même temps une grande école… Je me considère chanceuse » – confie Krastina Guetcheva.
Les amis de Stéphane Guetchev sont bien placés pour savoir à quel point le poète vénère sa femme bien-aimée.
Le mariage civil de Stéphane Guetchev et Krastina.
Le dessinateur Tenyo Pindarev et son épouse Maria
(à gauche sur la photo) sont les témoins du mariage
1950-1956, rédacteur au journal humoristique Starchel
Stéphane Guetchev travaille dans le journal «Starshel» {en Bulg. cad frelon} sous le pseudonyme de Ventseslav Diavatov, 1950.
Pendant six ans, Stéphane Guetchev travaille au journal Starchel (Frelon), à un poste « sans histoires ». Suivant ses attributions, il compulse des revues et des journaux étrangers, suggère des idées de caricatures et d’écrits satiriques. En 1956, il est congédié pour s’être permis de faire le commentaire suivant au sujet de l’insurrection de Budapest : « Ce ne serait pas une mauvaise chose, si… ce socialisme stalinien pouvait tourner à… quelque chose de différent. »
1957-1958, Dramaturge de production au Théâtre satirique nouvellement créé
On m’a viré du journal « Starchel ». J’étais impuissant de faire quoi que ce soit pour ma défense : l’ordre était venu de haut lieu. Je suis resté au chômage pendant des mois, jusqu’au jour où le dramaturge Vesselin Hantchev – on était proches, lui et moi – m’annonça : – « Stéphane, je viens de parler au directeur de notre compagnie d’un poste de second dramaturge de production pour toi ».
C’était ma planche de salut, je ne me suis donc pas fait prier… J’avais dans l’idée qu’un théâtre comme celui-ci pourrait jouer, à côté des comédies, de courtes pièces et des sketches satiriques d’actualité, comme cela se fait partout dans le monde. Avec M. Sartchadgiev pour chef de la compagnie, nous avons réussi à en montrer deux. Mais le nouveau directeur Danovski se montra rétif à toute forme d’innovation. J’ai dû, encore une fois, prendre la porte.
Tiré des récits de Stéphane Guetchev publiés dans l’hebdomadaire Literatouren forum, № 31, 1998.
1959-1965, la revue littéraire Plamak
Éconduit du Théâtre satirique, Stéphane Guetchev entame une carrière de rédacteur à la revue littéraire Plamak (Flamme). L’atmosphère y est pesante pour lui et il cherche une possibilité de partir.
1966, Stéphane Guetchev prend sa retraite
En 1966, la possibilité lui est offerte de prendre sa retraite. Fidèle à son crédo, il vivra « les meilleures années de sa vie ».
J’étais bien conscient que je ne pourrai désormais publier la moindre de mes œuvres. Je serais voué à l’isolement. Une fois ce fait inculqué dans mon esprit, je me suis fait une raison et je me suis adonné… à l’écriture. C’était une sensation inédite. Une sensation par trop pénible. Depuis, pas une journée ne se passait, sans que j’écrive – poésies, romans, pièces de théâtre, ébauches d’œuvres que j’envisageais d’écrire. J’écrivais sans arrêt et, le soir, en faisant la lecture de mes écrits à Titi, nous discutions pendant de longues heures sur les textes qui se consumaient au fond des tiroirs. Mais j’étais libre. J’écrivais sans éprouver aucune contrainte… Totalement libre. Un jour, je ferais cet aveu : Ce que j’ai écrit de meilleur, je l’ai écrit à ces moments-là.
Tiré des récits de Stéphane Guetchev.
СтефанГечев 1966 г.
1967, publication du recueil poétique de Guetchev Agenda
Au début des années cinquante, je m’étais remis (après une interruption de 25 ans) à écrire des vers. C’étaient de petits bouts de vers que certains de mes amis trouvaient sympathiques. En 1966, Mme Blaga Dimitrova, à l’époque éditrice aux Éditions Narodna Koultoura, me proposa de publier un choix de mes poèmes.
Il en a résulté un livre de petit format, huit centimètres sur quinze, un format… de passeport, d’une trentaine de pages à peine. C’aurait pu être le passeport pour un voyage libre des entraves de l’espace et du temps, un chemin vers d’autres mondes où les couleurs et la lumière sont éclatantes, dégagées de l’emprise de l’inconscient. Seulement, en Bulgarie, en cette année 1967, les passeports étaient une denrée rare chichement octroyée avec l’autorisation du Parti (comme on disait et écrivait pour désigner le parti communiste, NDT).
Le recueil poétique Agenda a paru en 1967 et la presse de tirer à boulets rouges sur le malheureux opuscule.
Lors d’une séance (du 12 novembre 1967) du Bureau politique du parti communiste au sujet de « certains problèmes sur le front idéologique », le responsable des questions idéologiques traitera le recueil poétique de Stéphane Guetchev de « déviation de l’idéologie marxiste-léniniste et de l’internationalisme communiste ».
C’était largement suffisant : l’appréciation de Venelin Kotsev valait une consigne. Quelques contrats d’édition déjà signés – concernant d’autres œuvres – ont été immédiatement annulés. Rien que les Éditions Narodna Koultoura ont résilié trois contrats de traduction… C’était dur ! Mais la seule chose que je savais faire plus ou moins bien, c’était d’écrire. J’ai envoyé, ici et là, quelques manuscrits mais j’ai essuyé des refus tacites. Il fallait me rendre à l’évidence, c’était peine perdue, et je n’ai pas insisté. Pourtant, tout en me rendant compte que ne serai jamais publié, j’ai continué à écrire… Un bannissement de vingt-trois ans, mais, là aussi, je suis sans regret : je pouvais écrire ce que je voulais et comme je voulais, sans penser à la censure, aux vicissitudes de l’existence, etc.
Tiré des récits de Stéphane Guetchev publiés dans le journal littéraire Literatouren forum, № 31, 1998, dans la revue littéraire Literatourna misal, № 4, 1991 et dans le journal ABV, № 4, 1991.
Mes amis grecs
Comme je disposais librement de mon temps, j’ai décidé de réaliser un vieux rêve : présenter l’admirable poésie grecque aux lecteurs bulgares. À l’époque, le début des années cinquante, le réalisme socialiste le plus doctrinaire était en passe de devenir tout-puissant dans notre pays. Je suis tombé sur quelques poésies d’un auteur qui m’était totalement inconnu, Yannis Ritsos. J’ai aimé ses vers, et comme il était communiste, j’ai cru qu’ils pourraient être publiés sans problème… J’en ai traduit quelques-uns et les ai envoyés pour être publiés. Le refus de la rédaction était assorti d’une remarque cinglante comme quoi ils ne publiaient pas de tels « élucubrations surréalistes ».
… Toutefois, le Parti a condescendu de me laisser éditer, sous l’étroite surveillance d’un Grec, communiste émigré en Bulgarie, la « Première anthologie de poètes grecs ».
Tiré du livre de Stéphane Guetchev Mes amis grecs.
Guetchev connaît bien et entretient des liens d’amitié avec les poètes et les écrivains grecs les plus importants de son temps (et pas seulement ses contemporains), à savoir Kostas Várnalis, Aris Dikteos, le prix Nobel Odysséas Elytis, Georgios (Georges) Séféris, Kiki Dimoula, Nikos Nikopoulis et bien d’autres. Son travail de traducteur est hautement apprécié.
La première publication des 2 volumes de l’Anthologie de la nouvelle poésie grecque, en 1960, et la seconde, en 1978, sont dues à la traduction et à la direction de Stéphane Guetchev.
La poésie chypriote contemporaine, 1965
La jeune poésie grecque, 1976
La poésie grecque du XXe siècle, 1978
Il traduit des poésies de Konstantinos Kavafi (1963, 1984, 1995), Aris Dikteos (1967) et Georges Séféris (1975).
Les mémoires de Stéphane Guetchev sur ces personnalités sont réunies dans son livre Mes amis grecs.
Stéphane Guetchev et Aris Dikteos, à l’arrière-plan
de la photo, rendent un dernier hommage à l’écrivain
bulgare Dimitar Dimov , 1966.
1989, Le procès de la disparition du corps de Jésus de Nazareth, au Théâtre 199
En 1989, comme un signe avant-coureur des changements politiques qui approchent, le Théâtre 199 sofiote présente la pièce de Guetchev Le procès de la disparition du corps de Jésus de Nazareth, dans la mise en scène de Mladen Kisselov.
La suite du parcours, 1989-2000
En 1989, le revirement politique en Bulgarie projette Stéphane Guetchev au centre de la vie intellectuelle du pays. Comme si un monde, resté longtemps à attendre l’occasion de découvrir l’homme et l’auteur, s’était brusquement activé. Suivent les entretiens télévisés et radiophoniques, les articles dans la presse écrite, les publications de ses œuvres, les récompenses qui lui sont décernées.
Stéphane Guetchev, l’auteur dramatique
La visée essentielle de mes textes littéraires, et notamment de ceux qui sont destinés à la scène, est d’inciter, ne serait-ce qu’un petit nombre de gens, à s’intéresser aux grands problèmes de l’existence et des relations interpersonnelles. Chaque spectateur est susceptible d’être touché par tel ou tel côté particulier du spectacle.
1991, Meurtriers, au Théâtre national Ivan-Vazov
La représentation de la pièce Meurtriers de Stéphane Guetchev, dans la mise en scène de Willi Tsankov, au Théâtre national Ivan-Vazov, est accueillie très favorablement par le public.1994 г.
1994, Le Calvaire de Barabbas
Dans le Théâtre du Palais national de la culture est présentée la pièce Le Calvaire de Barabbas, dans la mise en scène de Stoyan Alexiev.
1994, Le procès de la disparition du corps de Jésus de Nazareth
La même année, au Centre des arts à Washington, est représentée la pièce Le procès de la disparition du corps de Jésus de Nazareth, dans la mise en scène de Mladen Kisselov. Les échos du journal Washington Post sont très positifs.
1992, Poètes surréalistes français
En 1992, Paraît l’admirable anthologie Poètes surréalistes français. La première édition est épuisée en quelques mois, suivie par plusieurs rééditions. Le livre contient l’œuvre des précurseurs et des compagnons de route du surréalisme comme G. de Nerval, S. Mallarmé, A. Rimbaud, G. Apollinaire, etc., ainsi que de poètes surréalistes comme P. Éluard, A. Breton, L. Aragon, A. Artaud, T. Tzara et d’autres.
Croix d’or de la Légion d’honneur
La République hellénique honore Stéphane Guetchev. L’ambassadeur de Grèce à Sofia, S. E. Anastasios Sideris remet à l’écrivain et traducteur Stéphane Guetchev un diplôme et la Croix d’or de la Légion d’honneur de la part du Président du pays M. Konstantinos Stephanopoulos.
1997, Premier volume du livre Poésie grecque contemporaine
contemporaine» est publié sous les auspices
de l’ambassade de Grèce à Sofia.
Un grand rêve de Stéphane Guetchev commence à se matérialiser : la parution du premier volume du livre Poésie grecque contemporaine sous les auspices de la République hellénique et du ministre des Affaires étrangères, M. Károlos Papoúlias.
1998, Second volume du livre Poésie grecque contemporaine
Toujours avec l’appui de la l’Ambassade de Grèce à Sofia, paraît le second volume de Poésie grecque contemporaine. L’ambassadeur, S. E. Panayotis Karakassis est un admirateur de l’œuvre du grand ami de son pays Stéphane Guetchev.
1999, Mes amis grecs
Au fil du temps, Stéphane Guetchev a accumulé d’innombrables souvenirs liés à ses rencontres et aux conversations qu’il avait eues avec Várnalis, Elytis, Séféris, Dikteos, Kazantzakis, Ritsos, Parnassos, Nikopoulos, Yordans, Dimoulas, Loudemis. Et ce seront ces souvenirs qu’il s’appliquera à faire revivre dans son ouvrage Mes amis grecs.
1997, décernement d’une distinction pour contribution à la culture
En 1997, le ministère de la Culture de Bulgarie décerne à Stéphane Guetchev une distinction pour sa contribution à la promotion et à la propagation de la culture bulgare.
1998, la République française rend hommage à Stéphane Guetchev
Le 17 juin 1998, par décret du Président de la République française et au nom du ministère de la Culture, l’ambassadeur de France en Bulgarie, S. E. M. Tremeau remet à Stéphane Guetchev la distinction honorifique de chevalier dans l’Ordre des arts et des lettres, pour sa contribution à l’affermissement des liens culturels entre la France et la Bulgarie.
« Monsieur Guetchev,
L’Ordre des arts et des lettres est une des plus hautes distinctions de la République française. La nomination à l’Ordre des arts et des lettres honore des personnalités dont l’œuvre représente une contribution importante dans le domaine des arts et des lettres, de même que des personnalités ayant contribué au rayonnement des arts et des lettres en France et dans le monde. En exprimant mes respects les plus sincères, je vous prie, Monsieur, d’agréer ce témoignage de ma haute considération. »
1999, la Société grecque des traducteurs décerne à Stéphane Guetchev la Médaille d’or
En 1999, la Société grecque des traducteurs décerne la Médaille d’or à Stéphane Guetchev pour l’ensemble de son œuvre de traducteur, qui constitue une précieuse contribution à la littérature et à la culture grecques. De la part de la Société grecque des traducteurs, le maire d’Athènes, M. Dimitris Avramopoulos, remet la distinction à Stéphane Guetchev le 15 février 1999.
Le 4 janvier 2000, la fin du parcours
Il rend son dernier soufflé près de son épouse bien-aimée. Il s’éteint le jour de l’anniversaire de leur mariage, après presque 50 ans de vie commune. Entouré de tout ce qui compose son cadre familial – sa machine à écrire, ses livres et ses manuscrits, ses crayons – et de nous tous.
Quelque jours après, Titi découvre au pied de son lit un bout de papier sur lequel, au seuil de la grande porte, Guetchev à griffonné son dernier vers :
Au point du jour, sur l’échiquier,
Dans les cœurs de bois des pions
Mûrit le vieux rêve
Qu’aujourd’hui, peut-être,
Leurs coups, utiles ou inutiles,
Sous le regard de leurs rois,
Les mèneront enfin
Jusque la case ultime.
Au point du jour …
Le 3 janvier 2000 Tiré du recueil
Les ombres du temps, p. 87.
Conception graphique et Web-conception – Stéphane Artamontzev.
Traduit du bulgare par Assen Tchaouchev